Sandra Ganneval, l'autoédition, le choix de la liberté

"Sur les traces d'Oghyanouss", Afsaneh REZA-MILLER, édition indépendante, 2015

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Bonjour. Merci de votre visite.

 

J’ai décidé que lorsque je craquerai pour le roman d’un auteur indépendant, je prendrai le temps de découvrir cet auteur et de le faire découvrir aux (rares mais néanmoins réels :)) lecteurs de mon blog. Après "Gecko" de John Renmann, j’ai le plaisir de vous présenter "Sur les traces d'Oghyanouss" de Afsaneh REZA-MILLER. J’espère que vous prendrez le temps de lire cette interview passionnante. Afsaneh nous présente la genèse de son roman, son parcours d’écrivain, vous découvrirez une femme érudite, passionnée par la lecture et l’écriture. Je suis d’autant plus admirative de son texte que le français n’est pas sa langue maternelle…

 

Et c’est parti ! Je vous entraîne sans plus tarder « Sur les traces d’Oghyanouss ».

 


 

« Bonjour Afsaneh REZA-MILLER, tout d’abord, je tiens à te dire que j’ai beaucoup aimé ton roman "Sur les traces d'Oghyanouss". C’est une histoire que j’ai trouvée très originale, l’histoire d’une petite fille qui se rebelle contre le destin que cherchent à lui imposer sa mère et sa tante. Elles ont décidé d’en faire une sainte malgré elle et, elle leur oppose le peu d’armes dont elle dispose, à savoir la fuite dans un espace restreint qui s’y prête peu, grimpant aux arbres de la cour et refusant d’en descendre ; le rejet physique de ce qu’elles cherchent à lui inculquer (elle le vomit au propre comme au figuré) ; la nudité alors qu’elles veulent à tout prix voiler son corps, nudité qui n’est jamais sexualisée et presque asexuée. Ton livre parle de désespoir et de liberté, liberté de l’esprit, liberté du corps, une liberté qui a un prix : l’enfermement, car ton héroïne passe la majeure partie de sa vie « prisonnière ». Pourtant, elle réussit à demeurer forte et paradoxalement, dominante. Ses geôliers ne parviennent jamais à faire d’elle ce qu’ils veulent et même lorsqu’ils l’exploitent, elle n’est pas vaincue, elle conserve une maîtrise, certes, relative, mais une maîtrise de sa vie.

 

 

« S : Est-ce que tu pourrais tout d’abord me parler du lieu, du pays où se situe ton roman, l’Iran, tu es toi-même d’origine iranienne

 

A : J’aimerais avant tout te remercier, Sandra, de l’intérêt que tu portes à mon travail et de l’occasion que tu m’offres pour partager mon expérience en tant qu’écrivain.

 

Pour répondre à ta question, L’Iran est un vieux pays appelé également La Perse. En 1935, Reza Shah, le fondateur de la Dynastie Pahlavi décrète que le nom officiel du pays à l’usage international serait désormais LIran. Sa civilisation a plus de 2500 ans, et son histoire contemporaine est marquée par la révolution de 1979 qui a signé la fin de la monarchie.

 

Concernant  la ville de Marguéstânn, comme dit dans le roman, c’est bien entendu un lieu fictif, il n’existe en Iran aucune ville qui porte ce nom. Le mot Marguéstânn a par ailleurs un sens particulier. Marguéstânn signifie le pays, le territoire ou la région de la mort. Dans le registre linguistique, ce n’est pas l’équivalent du « cimetière » qui correspond à «gouréstânn» ou «ghabréstânn» en persan. J’ai choisi le mot Marguéstânn, qui est peu utilisé dans la langue, comme un nom propre pour désigner une ville imaginaire. Cette référence à la mort était une façon de mettre l’accent sur le fait que vivre, dans le milieu décrit dans le roman, est synonyme de mourir physiquement et intellectuellement.

 

Mais il y a une deuxième raison à ce choix : il était important de créer un cadre spécifique à un certain état d’esprit afin de l’opposer à la capitale impériale prise comme symbole de la modernité de cette période prérévolutionnaire. Mais je ne voulais en aucun cas, par respect pour les gens de la province, installer mon histoire dans une ville ou un village existant réellement, cela aurait créé beaucoup de confusion. Mon objectif n’était pas de dire qu’en province, la vie se déroulait telle que je la décris dans mon livre, mais d’opposer le traditionalisme excessif qui pouvait s’exprimer un peu partout dans le pays, y compris à Téhéran, à la modernité et le mouvement d’émancipation. La modernité, étant représentée par la capitale monarchique, il me fallait donc un lieu fictif pour y développer mon histoire et y faire cohabiter les visions conflictuelles à l’échelle individuelle. Exposer les paradoxes de la culture iranienne et leur vieillesse me tenait plus à cœur que de mettre en contraste Téhéran et une ville quelconque de province. J’aimerais souligner que ce roman était avant tout un projet littéraire, et non simplement une histoire. Et comme dans tout roman littéraire, la surface du texte, à savoir l’histoire qu’il raconte, sert à donner une direction thématique et à l’approfondir.

 

« S : Tu précises bien qu’il s’agit d’une œuvre de fiction mais je suppose que des personnages réels t’ont inspiré cette héroïne hors norme. Comment est née cette femme hurleuse ?

 

 A : « Sur les traces d’Oghyanouss » est effectivement une œuvre de fiction. Des personnes réelles n’ont pas donné naissance à ce livre, je préfère dire que ce sont des situations, des mentalités et différentes formes de souffrance (masculine&féminine) qui m’ont incitée à faire ce livre. Je ne peux prétendre qu’il y a une enfant ou une femme réelle en particulier à l’origine de ce personnage qui est très atypique même s’il est profondément humain dans sa manière de voir et d’agir. Je pense que l’esprit de révolte est commun à tous ceux qui d’une façon ou d’une autre ont un jour, secrètement ou ouvertement, rejeté une mentalité ou un système de pensée, forcément éducatif, qui leur posait problème. Le livre relate l’itinéraire d’une gamine « hors norme » comme tu dis, mais en même temps cette fillette est si proche de nous qu’on a envie de participer à l’aventure de son existence qui consiste avant tout à défendre son droit de penser différemment, ou plus exactement, le droit de PENSER tout court ! C’est un appel à la vie et à la liberté, et parallèlement, en filigrane, une autre histoire se révèle : la destinée d’un grand pays qui souffre des paradoxes de sa propre culture, jusqu’à ce qu’ils entraînent l’effondrement du système monarchique et l’arrêt du mouvement moderniste. J’ai écarté tout discours politique ostentatoire pour maintenir le cap jusqu’au bout dans une direction romanesque. Je n’ai pas la prétention d’expliquer une révolution, mais j’ai essayé de dévoiler la vieillesse et l’immortalité de certains grands maux, dans un climat devenu favorable à leur déchaînement. Certains de mes lecteurs m’ont écrit pour me dire que j’ai su leur donner une vision non politique, non historique, mais « littéraire » d’une société qui a basculé d’un monde à un autre. C’est une réelle joie d’entendre cela de la part de ses lecteurs.

 

Quant à la naissance du personnage, il trouve son origine dans le tout premier texte fictif que j’ai écrit en français. C’est un conte qui a pour titre « Jedance et son vieil arbre blanc » que j’ai par ailleurs publié en décembre 2015 en format numérique, mais je l’ai rapidement dépublié pour m’occuper du format imprimé de "Sur les traces d'Oghyanouss". J’ai écrit le conte de « Jedance… » un mois de décembre, il y a pas mal d’années de cela, à la suite d’un rhume sévère qui m’avait obligée à rester quelques jours chez moi, il y avait une grosse neige dehors par-dessus le marché, j’ai pris mes crayons et un cahier, je pensais que j’allais dessiner un paysage enneigé, mais à la place, j’ai écrit ce conte qui se déroule dans une forêt. Dans les trois ou quatre ans qui ont suivi, deux romans volumineux ont vu le jour, chacun pesait entre 400 et 600 pages, je les ai détestés et n’ai eu aucun regret à les détruire, ils étaient vraiment mauvais. Et puis, ce personnage m’est apparu, avec ses cheveux rouges, un peu décalé, sauvage, indomptable et étrange ; j’en ai eu une vision un soir en rentrant après une grosse journée où j’avais participé à un colloque. Je la voyais ou l’imaginais dans ma tête, comme une sorte de portrait et me demandais ce qu’elle pouvait bien vivre comme aventure et donc j’ai essayé de lui inventer une vie. Je ne me rendais pas compte à l’époque que j’avais repris certains traits du personnage de « Jedance » pour créer l’enfant « Oghyanouss », j’ai fait le rapprochement plus tard, beaucoup plus tard. Dans « Jedance et son vieil arbre blanc » la fillette ne parle pas et n’en a nul besoin parce que rien ne perturbe sa tranquillité qu’elle a atteinte au prix d’un certain sacrifice, elle passe son temps dans une forêt, mais à un moment donné les événements l’obligent à sortir de son paradis, elle doit bouger et partir alors que c’est encore une gamine… Pour Oghyanouss, cela se passe différemment, elle est coincée entre les quatre murs d’une maison et a pour seule distraction une petite cour et quelques arbres. Pour faire face à la bêtise humaine dont les supports sont le langage et l’éducation (le prénom et les préceptes religieux), elle doit crier pour se faire comprendre ayant peu de mots à sa disposition et peu d’espace pour s’éloigner physiquement. C’est par le hurlement et la nudité qu’elle prend une distance radicale avec les autres, sans réellement quitter son lieu. Derrière mes romans ou mes contes, il y a un important travail imaginaire pratiquement involontaire. Je pense que lorsque je suis très fatiguée par les activités quotidiennes ou souffre d’une douleur physique, mon imagination devient spontanément une échappatoire, les textes que j’écris dans ces moments-là sont souvent ceux qui m’intéressent le plus et c’est pourquoi je les conserve, ils sont plus réussis. Je considère que l’imagination est pensante, elle ne se contente pas de créer une histoire, dans mon cas la réflexion et la pensée passent mieux par l’invention, ce qui explique pourquoi j’ai renoncé à une carrière universitaire et choisi de me consacrer entièrement à la création littéraire. J’ai privilégié la fiction sans doute parce qu’elle favorise le mariage de l’art et de la pensée, et c’est loin d’être ennuyeux.

 

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« S : Le nom de ton héroïne, Oghyanouss, a une importance capitale, de même que celui des différents personnages qu’elle rencontre… peux-tu développer ?

 A : Oui, c’est très juste. Comme des langues, des traditions aussi on fait de multiples usages, et quelquefois leur application dans le domaine privé prend des proportions inattendues. Traditionnellement, c’étaient les grands-pères qui choisissaient le prénom des nouveau-nés, s’ils n’étaient pas vivants, les grand-mères s’en chargeaient, et sinon cette responsabilité était portée par la personne la plus âgée de la famille. Leur choix reflétait soit leur attachement pour une personne défunte dont ils souhaitaient perpétuer la mémoire, soit leurs croyances et leur intérêt pour les personnages religieux, mythiques, etc. Or, à ce stade, tout dépendait de la volonté de ce doyen de la famille. Le symbolisme de l’appellation enseigne sur la façon dont les individus partageant la même culture et la même langue percevaient, et perçoivent, les données socioculturels de leur époque. Dans mon roman, le baptême de l’enfant ressemble à un rituel d’appropriation et déclenche rapidement un conflit : d’un côté, nous avons le père qui, avec son penchant pour la poésie et la liberté de l’esprit, choisit un prénom moderne et poétique, et de l’autre, il y a la grand-tante, pieuse et décisionnaire, qui, par sa présence, signale l’importance des traditions et, par le pouvoir que celles-ci lui accordent, impose son idéal de la foi, avec un nom qui est chargé de signification. La rébellion de l’enfant marque une rupture décisive avec cette certitude établie que l’enfant est une marionnette devant remplir sa mission de grandir tel qu’on le lui demande. En se prénommant Oghyanouss, elle rejette les noms choisis pour elle et met un terme à une dualité dont elle ne met pas longtemps à voir comme l’épreuve de sa vie. Oghyanouss est le nom par lequel se manifeste un esprit intelligent, refusant que l’individu puisse être intégralement représenté et défini par un simple mot. L’héroïne se pose alors comme un être doté de pensée, intègre et en évolution intellectuelle qui aspire à vivre en harmonie avec elle-même. Jusqu’au bout, elle assume l’aventure, ou plus exactement la mésaventure de n’être qu’elle-même.

 

Si on quitte la fiction pour aller un peu plus vers le réel, je peux affirmer qu’ils n’étaient pas rares, (et ne le sont toujours pas) les gens qui rejetaient leur prénom soit à cause de son sens ridicule ou de sa connotation religieuse, soit parce qu’il était démodé ou porté par les subalternes.

 

« S : Les hommes dominent le monde dans lequel évoluent les femmes que tu mets en scène mais finalement ils sont assez peu présents, pourquoi ce choix ?

 

 A : Dans une culture dite patriarcale, les hommes sont en effet dominants, ils sont censés avoir beaucoup de pouvoir et décider de tout, ils sont garants de la sécurité et de la survie de la famille, ils travaillent dehors et connaissent la société mieux que les femmes qui, classiquement, s’occupent de la gestion intérieure du foyer. La structure ancestrale de la famille a préservé ces traditions à travers les âges. Ce qui est par contre souvent oublié et dont on parle très peu c’est précisément l’influence des femmes et leur autorité, notamment lorsqu’il s’agit d’éduquer les filles et préparer leur avenir. Dans ce domaine, les femmes décident souvent unilatéralement, conformément aux règles établies, elles s’octroient le droit de prendre la destinée de leurs semblables en main. La misogynie inconsciente chez une certaine catégorie de femmes étant une réalité, je tenais à exclure au maximum les hommes de mon histoire afin de montrer le traitement que les femmes, très peu responsables de leurs actions, se réservent les unes aux autres. Les rapports qu’elles entretiennent entre elles ne sont pas des plus cordiaux ; même le registre affectif implique tant de conditions et de critères que les relations vont en empirant, le climat est davantage baigné dans l’orgueil que dans l’empathie et la solidarité. D’ailleurs, par le personnage d’Oghyanouss qui, malgré sa nudité constante, est complètement désexualisée, voire asexuée (comme tu l’as très bien souligné) jusqu’à ce qu’elle renaisse de ses cendres vers la fin, on constate que les autres personnages féminins jouent un rôle capital dans l’instrumentalisation et la sexualisation du corps féminin, et c’est, à mon sens, cette piètre opinion que ces femmes ont d’elles-mêmes qui pourrait expliquer leur misogynie de base.

 

« S : Tu es une vraie littéraire, tu as fait des études de lettres, tu es une amoureuse des mots, est-ce que ça t’aide à te poser plus facilement en tant qu’auteur ?

 

Dire que je suis « une vraie littéraire » est certainement le plus beau compliment que l’on puisse me faire. Merci. J’ai beaucoup beaucoup écrit, dès l’enfance, dans ma langue d’origine et dans ma langue d’écriture actuelle qu’est le français depuis mes vingt ans, sans me priver de détruire ce qui ne me satisfaisait pas. Est-ce que cela m’aide à mieux me poser comme auteur ? Oui, je pense, puisque j’ai toujours voulu faire des études littéraires. Je crois que je voyais cela comme une assurance de réussite, j’ai même changé de langue pour plus de liberté. L’expérience de l’exil, linguistique, avant l’exil géographique, a comporté plus de risques ; j’ai beaucoup douté dans ce voyage, et sans doute dix fois plus que lorsque j’écrivais dans ma langue maternelle. Écrire dans une autre langue n’est pas si évident que les gens peuvent le penser ; c’est évidemment une activité joyeuse, dépaysante et extrêmement enrichissante, mais elle est en même temps laborieuse et engendre de grands moments d’incertitude. Le doute s’installe à un autre niveau de conscience ; dans la prose littéraire, il s’agit d’interroger sans cesse la langue, il y a ce besoin constant de s’assurer que les mots portent bien le message qu’on essaie de faire passer à tous les niveaux de la création, cela comprend tout aussi bien la construction d’un texte que sa portée sémantique et la correspondance des énoncées avec l’idée qui s’est formée dans l’esprit. Tout ce travail doit exposer une vérité, pour qu’il soit en mesure de susciter une émotion chez son lecteur. Décrire ce qui nous travaille, à travers les mots, de surcroît ceux d’une autre langue, n’est pas aussi instantané que son image dans la tête, la saisie n’est pas immédiate alors que l’idée ou l’émotion que l’on cherche à exprimer est fugace. Il me semble que c’est après cette fugacité qu’il faut courir en permanence jusqu’à ce que l’on obtienne une forme stable et significative, c’est-à-dire un résultat. Je crois qu’en écrivant dans une autre langue, l’auteur a davantage conscience de ce qui reste à l’état de non-dit et de son caractère insaisissable.

 

« S : A l’heure où j’écris, je ne trouve plus la version numérique de ton livre sur KDP mais uniquement la version papier. As-tu commencé par l’autoéditer en numérique ou pas ?

 

Oui, j’ai commercialisé mon roman pour la première fois en format numérique, en août 2015. Mais il est vrai qu’actuellement la version numérique est dépubliée, j’avais en réalité décidé de ne plus proposer mon roman, ni aucun autre de mes livres, sous ce format-là, mais je pourrais changer d’avis.

 

« S : Que penses-tu de l’autoédition ?

 

Je n’aime pas le terme, ni ses dérivés comme « les indés ». Je préfère être honnête avec moi-même et dire que je publie moi-même mes livres parce que l’édition classique ne s’intéresse qu’aux auteurs pistonnés. Je pense que c’est le rôle de l’éditeur de faire connaître les écrivains, il y en a de très bons qui méritent d’être lus et reconnus et soutenus par les médias classiques qui dominent, malgré tout, le marché du livre. C’est le droit de tout écrivain de profiter des avantages que l’édition propose. Mais la réalité, hélas, ne correspond pas à cet idéal. Alors, par fatalité, je passe par cette voie qui n’est pas vraiment nouvelle : on sait tous que Proust a été rejeté par Gide, il s’est fait connaître à ses frais. Donc le phénomène n’est pas récent. Par ailleurs, on constate que malgré son prix Nobel, Gide est moins lu que Proust, c’est toujours Proust qui fait couler beaucoup d’encre !!!  Donc, l’autoédition n’a pas à rougir de son passé.

 

« S : Qui est ton écrivain préféré ?

 

Oh la la, il y en a beaucoup, vraiment difficile d’en choisir un, il y a ceux que j’ai découverts dans l’enfance et l’adolescence et que j’adore : Dickens, Les sœurs Brontë, Jane Austen, Oscar Wilde, Mark Twain, Balzac, la liste est vraiment longue… et il y a aussi ceux que j’ai lus à partir de mes dix-huit ans : Dostoïevski, Sartre, Camus, Nathalie Sarraute, Virginia Woolf, Kafka, Kundera…

 

« S :Quel est ton livre préféré ?

 

Là aussi, je manquerais de sincérité, si j’en choisissais un seul, j’aime énormément  Les Hauts de Hurlevent, Le portrait de Dorian Gray, David Copperfield, Le Roi Lear, Le Docteur Jivago,  Anna KarénineLe père Goriot,  La case de l’oncle Tom,  Le Petit Prince,  Les mots

 

« S : Quel est l’écrivain que tu aimes le moins ?

 

Là, je pense tout de suite à Duras, j’aime l’auteur d’ « Un barrage contre le Pacifique » et de « l’Amant » qui est la reprise du même livre, mais à un moment donné son langage est devenu trop aphasique à mon sens; pour l’amoureuse des mots que je suis, c’est devenu lassant de lire cette œuvre, et j’ai pourtant tout lu d’elle, j’y ai même consacré trois ans de recherches assidues pour ma thèse de doctorat, parce que j’étais très très curieuse de la connaître, je l’avais découverte en France, on en parlait beaucoup. Mais j’ai bien peur de ne pas être une inconditionnelle de Duras.

 

« S : Comment abordes-tu la promotion de tes livres ? Est-ce facile pour toi de promouvoir tes écrits ?

 

Ah non, c’est une vraie galère, je n’ai pas d’esprit commercial. J’aime bien répondre aux questions, surtout quand elles sont lucides et pertinentes, mais pas dans le cadre de l’autopromotion, c’est vraiment une activité à part entière pour laquelle je ne suis pas du tout douée. J’avais décidé de publier tous les trimestres l’un de mes livres, mais devant la réalité de l’autopromotion, j’ai freiné cette envie. J’ai écrit beaucoup de textes sans réellement penser à les publier ; à partir du moment où j’ai réalisé que les portes de l’édition classique étaient fermées aux auteurs sans relations dans le milieu, j’ai cessé d’envoyer des manuscrits aux éditeurs, il y a un bout de temps. Aujourd’hui, l’autoédition a des outils numériques divers à sa disposition, ils l’ont rendue moins onéreuse et plus facile en tous points, mais publier un livre et le vendre, ce sont deux choses très différentes. Pour ma part, je n’ai encore ni un site ni un blog, et je n’avais même pas de page facebook avant la sortie de mon roman ! C’est dire à quel point je suis prise par mes lectures et mes écrits qui sont engagés mais pas consensuels, et jamais dans l’air du temps.

 

« S : Quels conseils donnerais-tu à un aspirant écrivain ?

 

Je pense qu’écrire demande beaucoup d’exigence et de sincérité, il faut écrire avec ses tripes et ne pas tricher, ne pas imiter qui que ce soit, chercher sa propre musique, ses propres mélodies, on finit bien par trouver son propre style. Les faux-auteurs et les copieurs sont faciles à repérer.

 

« S : Quelle est ta plate-forme préférée ?

 

A : Je n’ai essayé qu’Amazon pour l’instant mais je suis tentée par Fnac.

 

« S : J’ai trouvé ton texte très travaillé, comment es-tu arrivé à ce résultat ? Combien de temps as-tu passé sur le premier jet ? Combien de relectures ? Comment travailles-tu ? Qui te relit ? Fais-tu appel à un correcteur ?

 

A: Je me relis autant de fois qu’il le faut, je laisse passer du temps, pas une ou deux semaines, parfois il est question de plusieurs mois, de plusieurs années même ! Et en attendant de revenir sur un travail achevé, j’écris d’autres textes. J’ai souvent écrit sans penser à la publication, c’est le travail d’écriture et son aboutissement qui déterminent avant tout si on est écrivain ou pas, alors j’ai l’habitude de me relire, d’aller prendre des nouvelles de mes personnages comme s’ils étaient les membres de ma famille. La première version très très longue du livre a été écrite courant 1998-1999-2000, j’ai pris mes distances pour la relire et l’améliorer beaucoup plus tard en 2006, et puis j’ai fait une autre relecture en 2010. Et enfin en 2015, je l’ai relu, corrigé, et un peu écourté sans supprimer les passages enlevés. Il y avait encore 5 ou 6 chapitres à la fin. Ils développent le bouleversement social annonçant la chute de l’empire Perse. J’ai enlevé ces chapitres pour alléger la version kindle. Mais par la suite, j’ai décidé de sortir un vrai livre en papier. C’était en janvier dernier, j’ai sélectionné les passages les plus importants de ces chapitres manquants et ajouté un chapitre 41 au roman dans ses deux formats. Ce roman est le plus âgé de mes livres,  c’est l’aîné de mes enfants. Et cela me rassure de voir qu’il plaît à ses lecteurs qui le découvrent aujourd’hui !

 

Quant à la correction, j’essaie de me relire et de contrôler mes textes autant que possible. C’est assez difficile de porter un regard neutre sur son propre texte mais pas impossible. Sinon comment trouver un correcteur qui soit vraiment compétent et capable de travailler dans le total respect du travail de l’auteur, et qui soit assez respectueux pour ne pas lui parler sur un ton professoral comme s’il s’adressait au dernier des incultes ? Comment éviter ce genre de déception ? Faire appel à un correcteur, le payer, et se voir par la suite dans l’obligation de contrôler le résultat de son travail, de repérer des coquilles rajoutées ou ignorées, de voir qu’en transformant les phrases, il a commis des fautes de syntaxe et d’interprétation, de devoir lui apprendre certaines règles grammaticales comme l’accord du participé passé suivi d’un infinitif ou l’emploi correct des temps, de devoir se battre pour qu’il comprenne que la correction ne consiste pas à dépouiller l’auteur de son style, de rendre son texte scolaire et accessible aux enfants, et encore moins de l’écrire à sa place ; honnêtement c’est une expérience que je préfère éviter, car, malheureusement, les faux correcteurs ne comprenant pas grand-chose à la littérature ne manquent pas sur la toile. Quoi qu’il en soit, l’auteur est forcé de faire lui-même une vérification finale, même s’il fait appel à un correcteur.

 

« S : J’ai vu que tu avais changé la couverture de ton livre. J’aime beaucoup la première, c’est d’ailleurs elle qui m’avait donné envie de lire ton livre. Il s’agissait d’un jeu de reflets, une photo à l’envers qui faisait penser à une peinture. Pourquoi l’as-tu modifiée ? A cause de l’océan ?

 

 

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A: Moi aussi, j’aimais beaucoup cette photo qui effectivement faisait penser à une peinture, je l’ai tout de suite choisie parmi la première série de photos que le photographe me proposait. J’aurais bien voulu la garder pour la version imprimée, mais je devais l’acheter une nouvelle fois, et malheureusement dans le cadre de l’autoédition, on doit faire un peu plus attention aux frais. J’ai dû me séparer de cette photo à regret, je ne peux l’exploiter que sur le support numérique, mais pour ne pas créer de confusion dans l’esprit du lecteur, j’ai préféré la changer. Il reste tout de même un point positif : cette séparation m’a permis de faire le tri parmi mes propres photos et d’en trouver une qui pouvait représenter le personnage d’une façon symbolique, mais plus tout à fait l’univers du roman comme c’était le cas avec la première couverture. Cela m’a donné aussi la possibilité de créer un certain style de couverture que j’ai déjà reproduit pour mes autres écrits, il y a au moins trois de mes futures publications qui ont déjà leurs couvertures prêtes !

 

« S : Réalises-tu toi-même tes couvertures ?

 

A : Oui, c’est moi qui réalise de A à Z mes couvertures, c’est certainement la partie la plus amusante du travail technique de l’autoédition.

 

S : Parmi les personnages que tu as créés, quel est ton préféré ?

 

A : Oghyanouss. Elle tient une place importante. À travers cette fiction, les contradictions de la société ont pu devenir évidentes. Son « je » est puissant, mais pas envahissant comme un « je » autobiographique standard, il nous obsède, nous possède, nous maintient en alerte. Selon moi, cela tient en partie au fait qu’elle incarne une mémoire collective, Oghyanouss intimide les autres protagonistes du roman parce qu’elle empêche l’oubli de prendre de la place. Son « je » narratif est un « je » commun, qui sait rendre tous les personnages vivants, humains et responsables de leurs faits et gestes. C’est un «je» incontestablement fictif qui en fait, je pense, un personnage de littérature. À partir d’elle d’autres romans et d’autres personnages, féminins ou masculins, ont pris vie, j’ai pu construire un univers où elle se place comme une sorte d’Eve, une mère originelle qui a, d’une certaine façon, donné naissance à une famille. Elle est tout le temps en action ; même dans un espace réduit, elle réussit à trouver son échappatoire. Et cependant, elle n’a rien d’un être idéal, son esprit pénètre le nôtre, il nous est familier. Aux yeux de tous, c’est une folle à lier, mais le lecteur, qui reste tout près d’elle et voit en elle une sorte d’alter ego, ne partage à aucun moment du récit le point de vue des autres protagonistes.

 

« S : Quel est celui que tu as le plus aimé détester ?

 

A : "aimer détester" c'est une tournure très intéressante ! Je crois effectivement que mon empathie m’empêche de les détester pour de vrai. Chacun joue un rôle et fait fonctionner la machine. On peut évidemment adorer détester la tante ou la mère, mais elles sont également victimes d’une culture à laquelle, peut-on imaginer, elles ont adhéré pour survivre. L’excès d’amertume et de méchanceté révèle parfois de grandes souffrances et de profondes frustrations. On peut aussi joyeusement détester Sétareh qui est une vraie profiteuse. Il n’est pas non plus impossible que certains lecteurs trouvent le personnage du père pathétique pour un homme et énervant et le détestent pour sa faiblesse qui en ferait un lâche. Mais cet argument n’est peut-être pas tout à fait recevable, si on comprend sa volonté de fuir la violence quitte à y sacrifier son rôle de père.

 

« S : En tant qu’auteur, te définirais-tu comme une espèce de Déesse toute puissante ou plutôt comme une mère attentionnée ?

 

A: Les deux je dirais, ça dépend de l’humeur !!! On décrit un climat, les personnages évoluent dedans, j’essaie moi-même de les comprendre, en cela je suis peut-être davantage une mère attentionnée. Ceci étant, j’accuse le crime et n’adhère pas à la logique des criminels quels que soient les crimes commis. Donc, je me donne peut-être aussi une sorte de pouvoir qui m’aide à traquer le mal et le démasquer.

 

« S : Quelle est la question que tu aimerais que l’on te pose ?

 

A: Quelles sont tes activités artistiques ?

 

« S : Quelle est la question que tu détesterais que l’on te pose ?

 

A : D’où viens-tu ? Quel âge as-tu ?

 

« S : Ca y est, c’est la gloire, tu passes dans quelle émission télé ?

 

A: Hum, je ne sais pas trop, pour être honnête, je ne regarde pas trop la télé. Mais je vais faire un effort et choisir la « grande librairie », ou le journal de 20 h sur France 2 !?!?!

 

« S : Ecrire pour toi, qu’est-ce que c’est ?

 

A : Il y a quelques années, dans mon essai consacré à la littérature, j’ai écrit : « écrire, c’est devenir la mémoire des oublieux et le refuge des oubliés, c’est répondre à l’exigence d’une possession, divine et diabolique à la fois.» Je le pense toujours, je crois qu’on ne choisit pas vraiment d’écrire, c’est l’écriture qui nous choisit et s’impose à nous. C’est comme une sorte de mission à laquelle on finit par sacrifier une importante partie de son temps et de sa vie. Être littéraire, est-ce une vocation ? Pour ma part, j’ai tendance à penser que c’est bien plus que ça, c’est une façon d’être, inhérente et indicible.  Et indissociable de la personnalité.

 

« S : T’es-tu fixé un objectif à atteindre absolument en tant qu’écrivain avant de passer l’arme à gauche?

 

A : Avant, l’objectif était d’écrire des livres que j’aurais aimé lire si quelqu’un d’autre les avait écrits, écrire des livres forts et intemporels, écrire des livres humainement universels. Je crois que j’ai atteint cet objectif, j’ai écrit et gardé quelques livres qui répondent, me semble-t-il, à cette exigence. Les faire découvrir, c’est maintenant un autre combat.

 

« S : Ton prochain livre est-il en préparation ? Souhaites-tu nous en dire quelques mots ?

 

A : Quand j’ai mis en vente "Sur les traces d'Oghyanouss", je me préparais déjà à proposer un autre livre pour le trimestre suivant. Je l’ai fait. Comme je l’ai dit plus haut, j’ai présenté « Jedance et son vieil arbre blanc » en décembre, mais un mois plus tard, je l’ai retiré de la vente. Devant la difficulté de l’autopromotion qui me révèle que je suis une vraie handicapée dans le domaine, j’ai préféré laisser à « Oghyanouss » le temps de se faire connaître tout seul ! Parce que je ne sais suivre aucune méthode de vente, même les stratégies les plus ordinaires qui ont l’air de très bien fonctionner pour les autres, sont pour moi aussi impressionnants et inabordables que les sommets d’Himalaya. J’ai beau essayer, je n’y arrive pas et pourtant j’admire le pouvoir commercial dont sont munis les autres auteurs. Je n’ai même pas mis mon entourage au courant, ni même les amis, proches ou pas.

 

Pour l’été, j’avais préparé mon deuxième roman, qui lui aussi est assez vieux, sa couverture aussi est prête, mais mon séjour en Iran à l’heure qu’il est, et l’ampleur des surprises qui m’y attendaient m’ont fait changer d’avis. Ce retour au pays après longtemps, justifie que je publie d’abord quelques-unes de mes nouvelles. Les rapports, les préjugés, les distances, la société iranienne est indiscutablement marquée par les thèmes abordés dans ces nouvelles. Elles sont humoristiques et de longueur différente. La première, dont j’ai déjà une idée pour la couverture, s’est construite autour de quelques dessins que j’ai pris le temps de faire. Sa naissance remonte à 2002. Elle fait une approche sucrée/salée d’un certain conflit générationnel qui m’a l’air intemporel.

 

« S : Et là, c’est ma question préférée : si tu étais un super héros ou une super héroïne ?

A : Superman sans hésiter ! Il sait voler et il est très humaniste pour un extraterrestre.

 

 

Merci d’avoir pris le temps de répondre à mes nombreuses questions, Afsaneh. À bientôt.

 

Ils en parlent : Babelio

 

 

 

 

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13/07/2016
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